Une tempête a fait rage. On en voit encore les stigmates sur la plage… C’est le lieu où le pauvre Geppetto-mas vient comme d’habitude faire son marché, louvoyant entre bouts de bois et palettes cassées. Parmi les objets délavés et le plastique qui abonde sous un tas de feuilles, il glane une branche d’arbre moussue qu’il se dépêche d’emmener chez lui pour peaufiner sa dernière création : un petit pantin à l’image du fils qu’il n’a jamais eu, un nouveau compagnon pour ses automates qui déambulent dans son atelier.  Les « pas-finis » comme il les appelle, même si eux s’amusent entre eux en se renommant les « tout cassés », les « manque-une-vis ».

Quand il arrive chez lui, c’est la fête, la Fée de Récup’ est passée par là et a mis une belle animation dans tout ce petit monde qui accoure avec curiosité voir ce « petit nouveau » occupant l’attention et la créativité du pauvre inventeur depuis des mois : Pinocchio. Juché sur une palette à roulettes avec Geppeto-mas, il semble bien amorphe, emmêlé dans ses bouts de rubalise, mais lorsqu’il veut le manipuler, surprise : le petit se libère de ses attaches et prend vie !

Passée la joie de cette « naissance », il faut à présent lui trouver un habit, tester ses mouvements, lui faire une place. Et avant tout lui donner une éducation. Vient alors le grand jour du départ pour l’école. Mais dès qu’il quitte  la maison, c’est l’école de la vie qui va surtout se présenter à Pinocchio : de rejets en hésitations, aventureux, il entame un voyage initiatique qui va lui faire découvrir des chemins de traverse. C’est nourri de multiples rencontres qu’il finira par rejoindre la MAS, Maison Admise aux Saltimbanques, surnommée aussi LA BALEINE…

Nos créations avec des publics en situation de handicap sont le fruit de réflexions collectives, d’écriture sur mesure et adaptée à chacun·e, de répétitions hebdomadaires, de l’envie de dépasser ses limites physiques et mentales, dans le cadre d’ateliers adaptés. Pour chaque création, nous puisons notre inspiration dans le patrimoine oral traditionnel : les contes. Car ils parlent à tout le monde. Mais surtout, détourner leurs symboles permet d’aborder d’importantes thématiques avec humour et distance : la différence, l’intolérance, la beauté et la laideur, la justice et l’injustice, la liberté…

Des thématiques étroitement liées au handicap et aux nombreux clichés sur celui-ci, hélas encore très présents dans l’inconscient collectif. Aussi abordons-nous le handicap sans parler du handicap ! Pour ce spectacle, nous continuons sur la route des contes avec une adaptation des Pinocchio de l’écrivain Carlo Collodi et du réalisateur Luigi Comencini.

Notre spectacle prend forme au sein de l’atelier de théâtre-danse que nous animons depuis une dizaine d’années à la Maison d’accueil spécialisée (MAS) Princesse Mathilde de Neuilly-sur-Seine. L’histoire du petit pantin de bois nous a semblé parfaite : nos comédiens en situation de handicap sauront donner vie et corps à ce conte-voyage initiatique tissé de situations très dures (abandon, trahison, amitiés douteuses, peur, pauvreté, doutes…), de personnages aux multiples failles et surtout de tolérance.

Nos comédiens en situation de handicap, ces gens qu’on dirait « tout cassés » depuis l’extérieur, en ont vu d’autres et trouveront la piste à suivre pour que ce récit s’incarne à la MAS, avec sa galerie de personnages et d’émotions plus riches les unes que les autres, dans un théâtre à la fois onirique et physiquement engagé. Nous avons donc proposé au groupe de partir sur cette aventure théâtrale, et force est de constater qu’ils s’approprient cette histoire au point d’être impatients, désormais, de nourrir la mise en scène et la présenter en public.

Cette création se fait sous la direction de la danseuse chorégraphe Sabina Borelli et du comédien Olivier Luppens à l’écriture et la mise en espace.

Avec nos participant·es à mobilité réduite, nous travaillons sur la mise en espace et le déplacement, l’improvisation et le travail de chœur. Nous voulons leur offrir une réelle liberté de jeu, mettre en avant leurs aptitudes, mais aussi solidariser le groupe et affiner leur conscience collective rythmique et spatiale. Enfin, il s’agit de gérer les répétitions sans épuiser les troupes !

Nous choisissons également, en bons artisans, de travailler avec des matières et des accessoires qui correspondent aux péripéties de Pinocchio : du bois de palette rejeté à la plage qui aide à construire Pinocchio, une bâche plastique qui habille le fauteuil de la Fée et recrée le ventre de la baleine, une canne, des lunettes, des ballons…

Tout cela dans une ambiance musicale propre à la foire, comme si l’on passait d’un stand à une attraction, à la recherche d’un fonds poétique commun.